19 janv. 2011

Complément culturel...


Posté par H.Goyon

Pour faire suite à la visite - très enrichissante - du musée de l'imprimerie, je vous propose une lecture qui vous permettra de vous plonger, une fois de plus, dans la période de développement industriel que fût celle du 19e siècle (et d'ainsi établir des relations entre les machines aperçues et leurs retombées en matière d'édition). Patrice Flichy (écrivain sociologue) se penche sur l'enjeu de l'innovation technologique dans la production des "images de notre société". 

Résumé : 
Cet article se propose d’étudier l’invention et le développement des technologies de l’image à la fin du siècle dernier. Il fait une analyse comparée des contenus et des usages de la photographie, de l’affiche, de la lanterne magique*, des fêtes foraines*, des panoramas* et du cinématographe*. Il montre que les formes que peuvent prendre des médias dépendent simultanément des innovations techniques et des modes de vie et de perception d’une époque. Parmi le faisceau de médias qui combinent les nouvelles potentialités technologiques et les modèles de désirs et d’usages, celui qui réussira, en l’occurrence le cinématographe, est le fruit d’une histoire singulière qui est présenté ici. On peut tirer de cette étude de cas des enseignements qui ne concernent pas seulement les nouvelles images de la fin du siècle dernier mais aussi les nouveaux médias de l’an 2 000. 
* Cas supprimés du post ci-dessous - n'hésitez pas à faire une recherche et lire le texte complet.



Extraits choisis de l'article "Les images de la belle époque" (revue Alliages n°39 - été 1999) :

- Introduction -


Le vingt et unième siècle qui se prépare apparaît à de nombreux commentateurs comme le siècle de la révolution de la communication. Après la machine à vapeur puis l’électricité, les technologies d’information et de communication seraient la source d’une mutation économique et sociale majeure, nous serions à l’aube de la troisième révolution industrielle. Dans l’histoire des outils intellectuels, l’invention de l’informatique et d’Internet serait aussi importante que celle de l’écriture. S’agit-il là d’un simple discours promotionnel, de la volonté de donner un contenu au passage à l’an 2000, sommes nous entrain de vivre véritablement une mutation majeure que nous n’apercevons pas, car nous y sommes trop immergés ? Je voudrais aborder ce débat en prenant un peu de recul historique et en examinant une autre fin de siècle où les contemporains voyaient également arriver un déferlement de nouvelles technologies. 1900 apparut comme l’aube d’un nouvel âge. Les technologies de communication ( téléphone, T.S.F. , cinéma ) allaient déjà y jouer un rôle clé. Je me propose d’examiner, dans cet article, l’invention et le développent des technologies de l’image et, plus particulièrement, de l’image animée et leurs liens avec ce qu’on a appelé à l’époque « la vie moderne ». En effet, les formes de communication ne dépendent pas seulement des innovations techniques mais aussi des modèles de désir et d’usage qui se sont constitués à une époque donnée. Je voudrais ainsi montrer, à travers cette réflexion sur le passé, qu’il n’y a pas de déterminisme technique mais une interrelation permanente entre la technique et les modes de vie et que par ailleurs une technique de communication ne se développe jamais seule. Elle s’intègre dans un faisceau de médias qui renvoient à des usages et des imaginaires proches, même s’ils s’appuient sur des technologies fort différentes. En définitive, on ne pourra pas davantage résumer l’an 2000 par la révolution du numérique que l’on a pu caractériser 1900 par celle de l’électricité.


Sir Thomas Edison


Un nouveau rapport au temps et à l’espace



Si, pendant tout le 19ème siècle, les voyageurs ont manifesté un sentiment de malaise lors des voyages en chemin de fer, à la fin du siècle les nouveaux modes de transport procurent, au contraire, des sensations de plaisir : on a pris goût à la vitesse. La diffusion de la bicyclette puis l’automobile (que le petit peuple peut même essayer dans certaines foires) augmentent encore l’attrait de la vitesse. Les fêtes foraines savent jouer de cet engouement avec leurs grandes roues qui donnent « la sensation de fendre l’air et de dévorer l’espace ». Cette fascination pour la vitesse modifie aussi la vision des choses, on passe d’un monde où « le regard comme toute chose va au pas » à un univers où l’on voit bouger le panorama. Certains observateurs associent également cette mutation des sensations à la grande ville. 

En 1903, le sociologue allemand Georges Simmel écrivait, dans un essai intitulé Métropolis et la vie mentale, « l’accumulation permanente de nouvelles images, la radicale nouveauté d’un simple coup d’œil, l’aspect inattendu d’une impression soudaine : voici les conditions psychologiques créées par la grande ville. L’agitation des rues, la diversité des rythmes de la vie économique sociale et de loisir font que la grande ville est profondément différente du monde rural dans le domaine des fondements sensoriels de la vie psychique. » Un auteur américain contemporain remarque le même phénomène qu’il caractérise par l’expression « hyperstimulus». A en juger par les gravures de l’époque, les piétons ont bien du mal à apprendre à cohabiter dans la ville avec les tramways, puis avec les automobiles. Il fallait donc une attention soutenue, une excitation visuelle pour vivre en ville.

Tableau futuriste : Umberto Boccioni - 1910 "the city rises"



L’évolution des sciences et des techniques

L’activité scientifique et technique de cette fin du 19ème siècle rencontre la question de l’image en de nombreux points. Tout d’abord, l’éclairage électrique va modifier la physionomie de la ville pendant la nuit, non seulement on y circule plus facilement et plus sûrement mais la cité éclairée devient un spectacle à elle seule. L’électricité apparaît aussi comme un moyen potentiel pour se voir à distance. Dés les années 1880, différents inventeurs utilisent la propriété du sélénium de transformer la lumière en électricité pour développer des recherches dans ce domaine. Lors du congrès international d’électricité de 1900, le terme télévision est utilisé. «Il s’agit de faire pour les yeux ce que le téléphone fait pour l’oreille» écrit l’un des participants.
Les techniques de l’impression se sont également beaucoup améliorées. Le tirage de photographies dans la presse devient possible, certains journaux, comme L’illustration en France, en font leur spécialité. Les grands tirages de lithographies en couleur deviennent également réalisables à faible coût et l’affiche tirera partie de cette possibilité. A la fin des années 1880, Eastman met au point un nouveau support photographique, le film souple en rouleau. Comme les photographes professionnels restent attachés aux plaques, il imagine d’adapter son produit pour le grand public.
Les premières recherches sur l’image animée sont entreprises quelques années plus tôt par des scientifiques qui veulent étudier le mouvement des corps ( le cheval pour Muybridge, l’oiseau puis l’homme pour Marey). Ainsi, comme la photographie cinquante ans avant et, plus récemment, l’enregistrement du son, le cinéma a d’abord été développé comme instrument d’étude scientifique. « Dans le chaos, disait Marey en 1900, les techniques de la vision et de l’observation optique nous révèlent un monde inconnu ». 


Des images de rêve

Mais l’image éditée peut également se situer dans d’autres univers, celui de l’imaginaire, celui du rêve. A la fin du siècle, des affiches en couleur commencent à envahir les murs de Paris. Leur principal thème est l’annonce de spectacles de café-concert ou de music-hall. Alfred Chéret, le dessinateur le plus prestigieux présente le plus souvent des femmes dansant dans une ambiance de carnaval et de fête aérienne. Ces images qu’on associe aujourd’hui au «French cancan» de la «Belle Epoque» donnent une impression de luxe et une pointe d’érotisme sur les murs de Paris. Un contemporain note qu’ainsi les habitants transportent avec eux une image intérieure du Moulin Rouge. Ces nouvelles images ont suscité à l’époque une forte controverse. Les uns n’y voient qu’un «art mobile et dégénéré». 
Cette prolifération mécanique d’images allant, comme le tout nouveau cinématographe, éroder la fibre morale de la nation. Ce loisir de masse destiné à tous irait tuer les spécificités de l’art qui n’est destiné qu’à quelques uns. A l’inverse, d’autres estiment que l’affiche a su faire appel à de nouveaux talents artistiques, Chéret et Toulouse-Lautrec sont les nouveaux Watteau de cette fin du 19ème siècle. Un art de masse réellement démocratique est entrain de naître. L’affiche permet également de familiariser le public avec les nouvelles technologies.
A la même époque, on effectue également des tirages photographiques de masse de portraits-cartes des têtes couronnées ou d’acteurs célèbres. Les grands de ce monde peuvent tout aussi bien prendre les poses de leur fonction que mettre en scène leur vie privée, ces photographies peuvent ainsi alternativement marquer la distance ou la proximité. En Grande-Bretagne, par exemple, on vendit 70.000 portraits du Prince Albert après sa mort (1867). Quant à la princesse de Galles, sa photographie avec sa fille dans ses bras fut tiré en 300.000 exemplaires.


Affiches de haut en bas : 
Henri Toulouse-Lautrec et Jules Chéret.




Conclusion

De l’histoire des images 1900 on peut tirer un certain nombre d’enseignements qui sont également valables pour les nouvelles technologies d’information et de communication de l’an 2000 .
  • Une technique n’est jamais inéluctable. Ainsi, on sait réaliser du cinéma parlant dès le début du siècle mais cette technique n’est pas retenue par l’industrie du cinéma. Le cinéma parlant viendra au contraire de la rencontre d’une autre industrie, celle de la radio et de la téléphonie, et d’un petit producteur prêt à prendre des risques. Mais pourrait-on objecter il a fini par arriver. Soit, mais une autre technologie sur laquelle travaillent les ingénieurs du début du siècle et qui fascine les romanciers de science fiction,  le visiophone, ne verra jamais le jour. En effet, la transmission électrique de l’image évoluera vers la diffusion de divertissements audiovisuels.
  • Le succès d’un média dépend moins de sa technique que d’une bonne adéquation entre programmes et publics. Le succès du panorama illustre bien ce point. Ce média qui avait presque disparu au milieu du siècle, réapparaît en effet cinquante ans plus tard, grâce à sa capacité à créer un spectacle complet, à s’adapter à ce goût moderne pour la vitesse et les voyages. Bien entendu ce couple programme/public évolue. Il se modifie, tout particulièrement, dans la période de stabilisation d’un média. Le cinéma a d’abord été un cinéma d’attraction dans la tradition foraine, puis il s’est stabilisé comme un média narratif, capable de se constituer un public régulier.
  • Dans la concurrence entre différentes technologies médiatiques, l’équation économique joue un rôle déterminant. Si Pathé l’emporte avec sa production industrielle de masse de bandes filmiques sur Lumière qui réalise un cinéma total adapté à une seule salle, c’est que la première offre tous les gains d’une économie d’échelle. La sophistication technologique ne paie pas toujours. D’une certaine façon, Pathé choisit une solution économique fordienne (production de masse, consommation régulière et de masse), ce choix lui permettant d’ailleurs de conquérir le marché américain avant la guerre de 14. Lumière, au contraire, mise sur la performance technique et sur une consommation de masse exceptionnelle et non pas régulière.

    Les techniques, les modèles de désirs, d’usages et de sensibilités, les modèles économiques offrent des possibilités, des opportunités qu’il appartient aux innovateurs d’articuler selon différentes formules possibles. La solution qui l’emporte n’est pas celle qui est intrinsèquement la meilleure, ni celle qui est la plus simple technologiquement ou la plus vulgaire culturellement, c’est celle qui réussit à associer le plus de partenaires qui trouvent un intérêt à ce nouveau média. Pour le cinéma, il convenait d’associer non seulement les industriels de la pellicule et des caméras, mais aussi les réalisateurs et les comédiens, les responsables de la projection (forains puis exploitants de salles) et bien sûr les publics. Une fois qu’une association, un compromis s’est conclu entre ces différents acteurs et qu’au cours du temps il se solidifie, il est alors très difficile de le remettre en cause. On a atteint une sorte de verrouillage communicationnel. Rappelons, une fois de plus, que la solution stable n’était pas définie à l’avance. Elle est le résultat d’une histoire avec ses lignes de force, ses hasards, la volonté et le désir des acteurs. Cette histoire avec toute sa complexité j’ai essayé d’en retracer quelques traits à propos de la communication de la fin du siècle dernier. En ce qui concerne les technologies d’information et de communication de l’an 2000, le débat est au moins aussi complexe, mais nous en sommes les témoins et peut-être partiellement les acteurs.   




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