20 janv. 2011

Kater Attia

par Marc Vayer


En écho à l'exposition Nicolas Rubinstein au Lieu Unique à Nantes en ce moment, un travail et un artiste qui me semble bien plus pertinent à Lille en ce moment : Kater Attia.

19 Janvier 2011 Par Hugo Vitrani sur Mediapart
Kader Attia et l'occupation du vide

560 silhouettes priant en plein cœur du Tri postal de Lille. Ni corps ni tissus : les voiles de papier d'aluminium sont vides. Kader Attia, artiste français d'origine algérienne, présente jusqu'au 23 janvier son installation Ghost à l'occasion de La Route de la soie, exposition de la Saatchi Gallery (Londres) autour de la création contemporaine orientale. Il exposera d'autres œuvres au centre Pompidou (Paris-Delhi-Bombay du 25 mai au 19 septembre 2011), puis à la Fiac en 2011. 


Entre visages absents et cris silencieux

La découverte de Ghost, œuvre d'envergure, se fait face aux dos. La salle, silencieuse, est plongée sous un éclairage tamisé qui s'intensifie pas à pas. «Plus le spectateur longe l'installation d'une bonne trentaine de mètres, plus il est impliqué visuellement dans cette marée de formes humaines de dos; et lorsqu'il se retourne – parce que c'est intrigant cette présence –, il découvre des centaines de visages vides, de trous béants qui contrastent de manière très forte avec l'aspect plein et humain de la structure vue de l'arrière», explique Kader Attia. Ces visages absents surprennent et effrayent par la profondeur obscure de ces gouffres soudain révélés, et répétés en rangées. 
 
Vide/plein, présence/absence, obscurité/lumière, force/fragilité: Kader Attia travaille les contrastes et les oppositions. «Chaque sculpture a été réalisée avec en moyenne trois rouleaux de 25 mètres d'aluminium. Le principe était d'emballer un corps par couches successives: plus on accumule les couches, plus la structure devient rigide. Par la pression, on va retrouver l'architecture de l'anatomie du corps, et arriver à suggérer une forme humaine»; mais par simple pression d'«une main, vous pouvez écraser la sculpture. Vous êtes devant une marée humaine très puissante par son amplitude dans l'espace, et pourtant fragile et temporaire.»
«Penser la sculpture en négatif m'a fait reconsidérer la présence du vide»

Qu'a-t-il voulu montrer? Une critique de l'oppression de la femme et des intégrismes religieux? Une exaltation de la spiritualité? Kader Attia laisse libres les interprétations, les «hasards et les erreurs qui peuvent ouvrir des portes» de compréhension. C'est en observant sa mère prier qu'il a commencé cette œuvre. Mais, «contrairement à l'esquisse initiale où j'envisageais ce travail comme une trace de ce qui a été, le fait de penser la sculpture en négatif m'a fait reconsidérer la présence du vide». Sculpter le vide pour qu'il devienne œuvre d'art.



Ghost, installation de Kader Attia au Tri Postal de Lille© Hugo Vitrani

L'espace, Kader Attia s'en empare ici radicalement. A tel point qu'on peut y voir une réponse aux propos de Marine le Pen qui comparait le 10 décembre dernier «les prières de rue» des musulmans à l'Occupation nazie. Mais si réponse il y a, elle est «au futur antérieur», car Ghost date de 2008, explique Kader Attia. 

Kader Attia, à propos de Ghost. / Par Hugo Vitrani

«Cette comparaison avec l'Occupation (faite par Marine Le Pen), ça me donne qu'une seule envie: celle – une nuit – d'occuper toute une rue avec cette pièce.» Loin de l'anecdotique ou de la provocation, «cette œuvre montre aux gens sans distinction de race de culture et de sexe qu'ils sont tous voués à une finitude. On est tous voués à une fin, à une mort, on est tous fragiles.» 

Le vide, précise Kader Attia, il faut le «sentir, l'écouter, comme s'il s'agissait d'une musique ou d'un poème, d'un va-et-vient permanent entre sens et forme, rythmé par la pensée». A travers Ghost et l'œuvre plus récente mettant en scène huit sacs plastique figés sur une table en bois, Kader Attia affirme «que le vide n'est pas uniquement une notion physique et métaphysique. Le vide est aussi existentiel, surtout lorsqu'il fait référence en permanence à la réalité sociale et politique. Car le vide d'un sac plastique aujourd'hui, tel que je le vois, fait surtout référence à l'absence, à la frustration, au manque... Aux déshérités, aux “sans” comme on peut le lire dans Les Damnés de la terre de Franz Fanon: “Les sans abris, les sans papiers, les sans domiciles, les sans territoires, les sans patrie, sans travail, les sans droit à un espace de parole”.»
Untitled (Plastic Bags), 2008© Kader Attia

De la rue Mazarine aux îles Canaries

"Hallal", 2005© Kader Attia

Kader Attia a l'habitude de s'introduire dans le débat public. En 2005, des habitants du VIe arrondissement lanceront une pétition pour faire «fermer» une de ses œuvres, ces derniers n'y voyant qu'une boutique à haut risque pour leurs balades paisibles rue Mazarine.
Avec sa marque de sapes «Hallal» (pureté, mais avec deux L «pour ne pas toucher au sacré»), Kader Attia occupait tout l'espace de la galerie Kamel Mennour. Transformée en boutique, elle exposait des gros sweat-shirts rouges floqués du logo Hallal, des strings, jeans ou hidjabs (en polaire), et un mur graffé revisitant La Cène de Léonard de Vinci: Jésus de Nazareth a une capuche, ses 12 apôtres sont des cailleras. L'artiste s'emparait de la mode du street wear, des slogans anti-impérialisme américain, du sentiment religieux... Communautarisme? Il répond, amusé: «Et Lacoste, ce n'est pas du communautarisme peut-être?» 
La première œuvre de Kader Attia, La Piste d'atterrissage (1997-1999), celle qui le révélera, était une série de 156 photos sur la vie des transsexuels algériens exilés à Paris, se prostituant boulevard Ney alors que la guerre civile faisait rage en Algérie. Kader Attia signe une œuvre politique très forte sur l'entre-deux sexuel et culturel, le déracinement, l'exil et l'exclusion.

L'exil, que l'on retrouvera dans Holy Land (2007).

courtesy Kader Attia, collection privée et Pôle Technologique de l'Université de la Réunion© Kader Attia

Kader Attia installe sur une plage une vingtaine de miroirs face à la mer. Une plage des Canaries, cette île au large du Maroc, destination de nombreux immigrés africains fuyant la misère, espérant trouver en Europe une nouvelle vie. Ces miroirs devenus stèles mortuaires reflètent ce passé abandonné, mais aussi l'espoir mort-né à peine le pied à terre.
Des miroirs encore sur 90 réfrigérateurs.

courtesy Kader Attia, collection privée, Galerie Krinzinger et Galerie Christian Nagel© Kader Attia

En 2007, Untitled (Skyline) met en scène la banlieue dans laquelle Kader Attia a passé son enfance. Connue pour être chaude, la cité reconstituée devient froide: on y congèle les misères en attendant que ça passe. Dans une autre installation présentée au Palais de Tokyo, il s'empare de matraques trouvées dans la rue après les émeutes de 2005 dans sa cité, pour en faire une calligraphie façon Koufi (géométrie rigide et anguleuse) mixée avec du Mondrian.

Kader Attia, artiste des identités-relation

Si Kader Attia ne confond pas art et politique, cet ancien militant d'extrême gauche reste fidèle à ses engagements. Son œuvre rend compte des identités-relation dont Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau écrivaient: «Ce n'est pas parce que les identités-relation sont ouvertes qu'elles ne sont pas enracinées. Mais la racine n'est plus une fiche, an chouk, elle ne tue plus autour d'elle, elle trace (qu'on le veuille ou non, qu'on l'emmuraille ou qu'on la conditionne) à la rencontre d'autres racines avec qui elle partage le suc de la terre» (Quand les murs tombent, Ed. Galaade, 2007).

Les problématiques liées à la banlieue, l'immigration et l'intégration, Kader Attia les connaît bien. Né à Dugny (Seine-Saint-Denis) en 1970, il  passe sa jeunesse à Garges-lès-Gonesse. De 11 à 15 ans il vend des tissus sur le marché de Sarcelles. Pas franchement passionné par l'école, son truc c'est le dessin. Un passage dans le graffiti –«à la belle époque, celle du graffeur Mode 2»– mais il préfère évoluer seul qu'en équipe. Repéré par son prof d'arts plastiques, il passe son bac pour accéder à l'Ecole supérieure des arts appliqués Duperré, avant un bref passage à l'école La Massana de Barcelone, pour enfin intégrer la prestigieuse Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris. Diplômes en poche, il part deux ans au Congo apprendre la sculpture ancienne et contemporaine. Depuis, Kader Attia est présent dans les plus grandes manifestations internationales d'art contemporain, et travaillant entre Paris, Berlin et l'Algérie, il est aussi représenté par les galeries Christian Nagel (Berlin - Cologne - Anvers), Krinzinger (Vienne) et Galleria Continua (San Gimignano - le Moulin).
Les œuvres de Kader Attia sont pour la plupart éphémères.
Ce qui, parfois, devient un véritable casse-tête: que faire d'une œuvre comme Flying Rats (2005), cette mise en scène d'enfants en céréales se faisant déchiqueter par des pigeons bien réels, faisant passer Les Oiseaux d'Hitchcock pour une gentille comédie? L'œuvre, éphémère, ne vit que dans sa destruction même.

"Flying Rats", vue de l'installation à la Biennale de Lyon, 2005, courtesy Kader Attia et collection privée© Kader Attia

Tout comme Ghardaïa, reconstitution de la ville éponyme, du couscous cuit remplaçant le sable. L'œuvre, là encore impossible à collectionner, ne dure que trois mois.
La Tate a trouvé la riposte: elle a acheté la recette et les moules. Et pour conserver l'œuvre dans sa collection d'art contemporain, la recuisine tous les trois mois.

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