(récupéré sur http://www.site-magister.com/cliche.htm)
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1. Signe, signifiant, signifié :
Ferdinand de Saussure exposa dans son Cours de linguistique générale (publié en 1916) sa conception du signe comme une notion à deux faces : un signifiant (c'est-à-dire la forme concrète, acoustique ou graphique, du signe) et un signifié, qui désigne le contenu sémantique, l'ensemble des réalités à quoi renvoie le signifiant :
ainsi les signifiants [chat] (le mot prononcé ou vu), l'icône ont pour signifié l'animal familier.
Le lien entre ces deux faces du signe est certes nécessaire au sein d'une même collectivité pour assurer la bonne réception du message. Mais il est en fait arbitraire (dans d'autres langues, par exemple, cet animal est désigné par un mot différent). Les poètes se sont souvent plu à jouer sur le seul signifiant sans se soucier du signifié (ainsi dans l'allitération ou l'assonance); la littérature a d'autre part pour ambition de multiplier les signifiés à partir d'un même signifiant (ce sont les connotations).
C'est ici que la notion de signe nous intéresse pour réfléchir sur celle de cliché. Lorsqu'à un signifiant invariable est invariablement attaché un même signifié, on pourra constater en effet cette sclérose du langage à quoi aboutirait une littérature confinée dans un langage utilitaire.
De ce langage, au contraire, la publicité est friande puisqu'elle doit communiquer de manière massive des mots d'ordre d'autant plus efficaces qu'ils seront automatiques. Dans un texte célèbre, Roland Barthes a ainsi recensé les signes à l'œuvre dans une image publicitaire et parfaitement montré qu'ils n'ont besoin pour être compris que d'un savoir stéréotypé :
Rhétorique de l'image
in Communication, n°4, 1964
repris dans L'obvie et l'obtus,
Points, 1982.
Voici une publicité Panzani : des paquets de pâtes, une boîte, un sachet, des tomates, des oignons, des poivrons, un champignon, le tout sortant d'un filet à demi ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur fond rouge. Essayons d' « écrémer » les différents messages qu'elle peut contenir.
L'image livre tout de suite un premier message, dont la substance est linguistique; les supports en sont la légende, marginale, et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la scène, comme « en abyme » ; le code dans lequel est prélevé ce message n'est autre que celui de la langue française; pour être déchiffré, ce message n'exige d'autre savoir que la connaissance de l'écriture et du français. A vrai dire, ce message lui-même peut encore se décomposer, car le signe Panzani ne livre pas seulement le nom de la firme, mais aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui est, si l'on veut, l'«italianité » ; le message linguistique est donc double ( du moins dans cette image) : de dénotation et de connotation; toutefois, comme il n'y a ici qu'un seul signe typique, à savoir celui du langage articulé (écrit), on ne comptera qu'un seul message.
Le message linguistique mis de côté, il reste l'image pure (même si les étiquettes en font partie à titre anecdotique). Cette image livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici d'abord ( cet ordre est indifférent, car ces signes ne sont pas linéaires ), l'idée qu'il s'agit, dans la scène représentée, d'un retour du marché ; ce signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques : celle de la fraîcheur des produits et celle de la préparation purement ménagère à laquelle ils sont destinés; son signifiant est le filet entrouvert qui laisse s'épandre les provisions sur la table, comme « au déballé ». Pour lire ce premier signe, il suffit d'un savoir en quelque sorte implanté dans les usages d'une civilisation très large, où « faire soi-même son marché » s'oppose à l'approvisionnement expéditif (conserves, frigidaires) d'une civilisation plus « mécanique ». Un second signe est à peu près aussi évident; son signifiant est la réunion de la tomate, du poivron et de la teinte tricolore (jaune, vert, rouge) de l'affiche; son signifié est l'Italie, ou plutôt l'italianité, ce signe est dans un rapport de redondance avec le signe connoté du message linguistique (l'assonance italienne du nom Panzani) ; le savoir mobilisé par ce signe est déjà plus particulier : c'est un savoir proprement « français » (les Italiens ne pourraient guère percevoir la connotation du nom propre, non plus probablement que l'italianité de la tomate et du poivron), fondé sur une connaissance de certains stéréotypes touristiques. Continuant d'explorer l'image (ce qui ne veut pas dire qu'elle ne soit entièrement claire du premier coup ), on y découvre sans peine au moins deux autres signes; dans l'un, le rassemblement serré d'objets différents transmet l'idée d'un service culinaire total, comme si d'une part Panzani fournissait tout ce qui est nécessaire à un plat composé, et comme si d'autre part le concentré de la boîte égalait les produits naturels qui l'entourent, la scène faisant le pont en quelque sorte entre l'origine des produits et leur dernier état; dans l'autre signe, la composition, évoquant le souvenir de tant de peintures alimentaires, renvoie à un signifié esthétique : c'est la « nature morte », ou comme il est mieux dit dans d'autres langues, le « still living » ; le savoir nécessaire est ici fortement culturel. On pourrait suggérer qu'à ces quatre signes, s'ajoute une dernière information: celle-là même qui nous dit qu'il s'agit ici d'une publicité, et qui provient à la fois de la place de l'image dans la revue et de l'insistance des étiquettes Panzani (sans parler de la légende).
© Éditions du Seuil
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